Un silence, Isabelle Huppert retient son souffle. Elle est droite et digne. Elle ouvre les lèvres, elle pose sa voix Les mots sortent avec lenteur, intonation grave, chaque syllabe découpée au carré comme cloutée sur une lame de parquet. Le poème choisi « Le vieil homme » de Louis Aragon. Elle débute ainsi : « Moi qui n’ai jamais pu me faire à mon visage, Que m’importe traîner dans la clarté des cieux, Les coutures, les traits et les tâches de l’âge » Au sommet du chemin de la Roussilhe, entre ciel et terre, une imposante bâtisse blanche regarde la Truyère assagie se faire avaler par les flots intrépides du Lot. En balcon au dessus de cette confluence, la maison de retraite est là, perchée sur ce flanc, baignée d’un soleil capricieux pris en otage entre deux giboulées de mars. Nous sommes le 1er du mois, le baromètre n’attend pas pour déclencher les hostilités. Les majorettes sont rentrées les premières, alignées comme des petits soldats de plomb dans cette salle de vie. Visages et paupières pailletés, quelques pas cadencés, un pas de côté, une courbette, intimidées, elles s’esquivent. Je me faufile, je m’assoie sur l’un des sièges vides. Un rayon de soleil illumine précipitamment la pièce, dehors le ronflement des tagazous s’est tu, les mots du «vieil homme» me reviennent en écho, la voix d’Isabelle Huppert, si profonde, si théâtrale, est en moi, si prenante en ce jour de carnaval : «Voici déjà beau temps que je n’ai plus coutume, De défier la neige et […]