Aveyron

3 décembre 2019

J’ai signé d’une grande croix

« Il est rappelé que l’entrée est strictement réservée aux véhicules des personnes handicapées ». Le panneau n’a pas bougé encore ferré sur ces quatre rivets. La grille était ouverte, je suis rentré. Silence monacal, ciel chargé, vol de pigeons en rafales. Herbe grasse, pissenlits charnus, allée détrempée, je suis monté sur un petit talus. Sans salut, ni connu, peut être craignais je d’être vu ? Je me suis perché sur ce qu’il reste d’un beau muret couvert d’une mousse épaisse. Sous mes pieds, des tonnes de gravas, le grand fracas, des tonnes de briques concassées, déchiquetées, des tonnes de planches brunes à construire mille abris de fortune. Face à moi, la chapelle St Michel, murs éventrés, trous béants comme des abcès purulents…j’ai subitement repensé à Sarajevo, la fin du siège, les façades criblées d’impacts, les fenêtres muettes offertes aux vents maudits dévalant du Mont Igman, ces petits vendeurs accroupis, l’air maudit, au pied du marché Markale encore détruit par les tirs d’obus. Et puis ces églises aux clochers pointus, pillées, déchiquetées sous le feu des roquettes…. Je suis passé devant un banc. Combien d’hommes, de femmes en fin de vie, ont pensé, assis là, les deux mains sur les genoux, les yeux loin de tout, au dernier lendemain sans rien. J’ai escaladé un vieux tronc gisant au sol. Au loin, par delà les gravas, j’ai vu l’autel toujours sur son socle…je me suis avancé…je suis rentré dans cette nef aux murs blancs, vaste navire échoué, fragile carcasse ouverte sur […]
3 décembre 2019

Aligot Boxe sur l’Aubrac

La cabrette a fini de grincer, les sabots ont fini de claquer, premier combat, deux jeunots se penchent entre les cordes, à peine sortis du bac à sable, casqués, gantés pour un premier combat. Petites guibolles frêles mais ça frappe fort, les joues se déforment, ça avance, ça recule. En bas du ring, le frangin filme en facebook live, un gaminou sautille comme une puce «moi aussi je veux boxer», le père de dire «toi tu te calmes». Verdict, on lève un bras droit, un bras gauche, égalité. Quand la boxe s’invite en terre d’Aubrac à l’heure des premiers frimas, on dresse les nappes blanches, on tamise la lumière, on met le rosé au frais, les petits plats dans les grands, c’est le pâté en tranche, c’est l’aligot qui file, c’est la viande qui fume, on sait recevoir et sur le ring, baigné d’une lumière rougeoyante et puissante, les gars…et deux filles…font le spectacle. Les assiettes valsent, bang bang, les coups pleuvent, les  convives s’émeuvent. Les plats défilent, bang bang, les gauche–droite s’enchaînent, sur les chaises, ça frétille, sur le ring, ça vacille. C’est déjà l’entracte, les huiles se serrent, Préfète en jupette, sénateur grand et sec, Jean Valadier le poids lourd de l’Aubrac au centre de cette lignée d’élus et de notables. Applaudissements, ils reçoivent en cadeau un couteau de Laguiole. Sur le ring, le speaker en costard déclare « va falloir donner un euro». Tradition oblige. Au pied du carré rouge, Miss Aubrac riboule des yeux de velours. Un […]
10 novembre 2019

Pause café à petites foulées pour garçons de café

Le matin, c’est pas très compliqué pour me trouver. Je bois mon café place du Mandarous, là où le ristreto est brun, crémeux, épais, puissant. Je n’ai pas une place attitrée. Au gré des banquettes laissées libres par les lèves tôt comme moi qui viennent se poser les coudes sur le zinc ou sur l’une des tables pas encore poisseuses. Il y a le boucher, sa blouse blanche n’est pas encore maculée, ça parle de foot. Je n’y comprends rien. Il y a un jeune retraité. Lui, c’est un nouveau, pas d’ici. Je dirais ancien prof intello. Par les petits carreaux, je l’observe. Dehors, il fume sa clope, il rentre, chope Midi Libre. Il sort son BIC, les mots croisés ou fléchés, c’est son petit labyrinthe cérébral matinal. Il y a Nadège, elle parle fort, on ne comprend pas toujours. En si bon…ou mauvais…matin, elle est parfois dans les brumes d’un sommeil ravageur. Elle appelle le serveur « mon chéri ». Le jeune homme habillé d’un petit gilet cintré est sympa avec la dame bien cabossée. Il se prête au jeu, lui fait la bise, penché, le plateau à la main, à farfouiller dans ses poches ventrales à monnaies. Pas loin du comptoir, Il y a mamie, le serveur l’appelle « mamie ». Elle essuie, elle balaie, elle frotte, elle astique, elle range. Parfois, elle se met au perco. Elle regarde le noir coulé comme de l’or en fusion. De ses doigts fins, elle prend les tasses, un sucre et un biscuit le tout […]
3 novembre 2019

Des chrysanthèmes pour l’Amassada

Je me souviens d’une piste noyée dans un brouillard épais comme du saindoux. Je me souviens de notre « deuche » se dandinant tranquillement, les essuies glaces en rafale, la tirette du chauffage toute à droite. Je me souviens de cet arrêt quelque part, un nul part, sans forme, sans contour, dans un silence isoloir, sans pouvoir distinguer le moindre muret, le moindre bâtiment, la moindre cheminée de la ferme des Homs. Je me souviens avoir grimpé sur un talus, avoir tourné en rond comme un chien de garde sur les rebords indécis de cette petite dépression, en quête du moindre bruissement. Je me souviens m’être posé cette question « mais elle est où cette éolienne ? ». Un jour de Toussaint sur la route de Saint Victor et Melvieu, les Raspes fouettées d’une pluie en rideau, incisive et punitive, les souvenirs sont remontés à la surface comme lorsque l’on brouille le sédiment pour faire briller le mica. Les souvenirs dilués d’une virée sur le Larzac, ma première, à la recherche de cette éolienne financée par des dons participatifs. Le crowdfunding n’existait pas. Autre temps, autre méthode, on remplissait un chèque avec un BIC, le montant en francs faut-il le rappeler !, on découpait un bon dans « Le Sauvage » – fallait-il être abonné à cette première revue écolo créée en 1973 – on léchait le rebord d’une enveloppe et on postait le tout dans la première boîte aux lettres venue, trônant au coin de la rue. Viva la […]
28 octobre 2019

Les deux pieds dans le cercle

Matin d’automne, au Coopérateur, ya p’tite foule, Sous les platanes, petit vent d’autant, terrain du fond, ça grenouille. Les deux pieds dans le cercle, un homme un peu bouboule, Le tee shirt qui moule, les yeux qui riboulent, Une petite tête de citrouille, une bonne bouille. Assis sur un banc, l’éduc l’invite « allez sois cool » Des deux mains, il fait claquer le métal et balance la boule. Elle roule, elle roule, elle roule, Sur un sable fin comme de la semoule. L’homme se tord, vrille et ondule comme la houle, Il s’agenouille, il sert des points, il bafouille, La boule quitte sa route, destination….Kaboul. A ses côtés, un homme à la casquette lui glisse « allez ma poule »     Photographies réalisées le samedi 12 octobre 2019 lors d’une concours de pétanque Sport Adapté sur le terrain du Coopérateur à Millau – France