Un mercredi matin, banal, normal. Enfin pas tout à fait ! Et puis ce bip annonciateur d’un message, l’expéditeur Nico et ses quelques mots «nous organisons notre Grand Prix Sport Adapté de karting à pédales. Si tu as du temps de libre. A bientôt ». J’ai répondu aussitôt des deux pouces « j’ai la liberté de me rendre libre. Je serai bien entendu présent ».
En 2019, déjà, je m’étais rendu à l’invitation de Nicolas Chiotti, éducateur spé, dans le Parc de la Victoire, au pied de la Stèle de la Résistance sur laquelle autrefois était scellée la statue en bronze de l’entomologiste Jean Henri Fabre déboulonnée par l’occupant Allemand.
J’en garde un souvenir d’une profonde émotion, sincèrement secoué, touché, transpercé par autant d’enthousiasme non réfréné. Je me souviens tremblant, les larmes aux yeux devant ces hommes, ces femmes, jeunes et moins jeunes se livrant ainsi sur leur petit engin, dans une farandole qui n’avait rien de plaisantin, avec leurs grands sourires, leurs maladresses, leur grand courage, leur vulnérabilité, leurs trouilles aussi, l’envie de vivre tout simplement comme le chante Grand Corps Malade dans «Sixième sens» à propos de «ces oiseaux dans l’orage».
En mai 2019, j’avais écrit ces mots. Les voici, je n’ai rien de plus à ajouter. Si quelques photos comme témoins pour les accompagner.
Les deux mains accrochés à un petit volant, le dos courbé, les jambes repliées, j’ai vu des hommes, des femmes, de jeunes garçons, de jeunes filles dans le «sixième sens».
Les yeux fixés sur ces courbes puis ces lignes droites, instinct vital de rouler vite, vite, vite…fort, fort, fort…dans ces pleins et déliés, à mouliner des guibolles, à serrer des dents, à sentir le vent glissé, flirté, sifflé.
Avec tant de force et de faiblesse, de retenu et d’exubérance, de calme et d’excès, parfois dans la lenteur extrême, comme une longue ascension, une traversée en eaux profondes.
Dans ces allées poussiéreuses, comme un ballet, un tourniquet avec des ricochets, des hoquets… »quand la faiblesse physique devient une force mentale» pour reprendre la phrase de Grand Corps Malade écrite au fusain sur une vitre sans teint….»
Double lecture, double capture…”lorsque la faiblesse mentale devient une force physique» pour se réunir, par esprit d’équipe, course épique pour desserrer les cadenas, pour dégripper les gongs, pour alléger les semelles de plomb «Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction».
Au pied de ces grands arbres centenaires, de ces troncs puissants et lisses, un brun moucheté comme des colonnes de marbre, théâtre antique à ciel ouvert, à l’épais feuillage comme un doux voile de velours frémissant, par la puissance de ces deux jambes…par «cette envie de vivre»…pour rapprocher deux rives, deux continents, pour réduire une fracture et tenter de lever les plus lourds préjugés…Est-ce cela le sixième sens ?
Photographies prises le 7 juin 2023 à Millau