Cercle jaune « Alors comme ça, tu t’intéresses à la pétanque ? »

Je ne connais rien de ce jeu populaire qu’est la pétanque, je ne sais rien de ce sport plus que séculaire même si, par le passé, j’ai trainé mes espadrilles dans ce Parc de la Victoire poussiéreux et écrasé de chaleur un jour de Mondial, l’une des années où le rire puissant d’Henri Salvador résonnait jusque dans la rue Balitrand.

« Alors comme ça, tu t’intéresses à la pétanque ? »…En ce 15 août, à tourner en rond autour de ce grand rectangle gravillonné épousant le contours du parking attenant à la salle des fêtes, cette question me fût posée quatre fois. L’une de mes rencontres de me glisser « car ça n’a pas grand-chose à voir avec les Jeux Olympiques ».

Je me suis donc expliqué « que les J.O., c’est bel et bien du passé » et qu’aujourd’hui et cela depuis 10 ans, je m’immisce dans un réel certes moins fastueux, moins glorieux, moins fiévreux mais où le quotidien déroule des petits bonheurs. Ils saupoudrent, dans le grand silence de mes déambulations, 1000 petites histoires qui dans le secret de chacun, chacune sont peut-être de belles et grandes histoires intimes ou partagées.

Il y a peu, je replongeais dans un long entretien publié dans «America» numéro 16, passionnant échange entre François Busnel et Colum McCann, ce grand écrivain des paumés, des déshérités, les parias, les exclus d’une Amérique noyée de larmes effilées comme des épées ensanglantées. 26 pages lues comme un long ride à travers les champs de canne à sucre du Delta. Sans lâcher le guidon, sans affoler les watts, je n’en ai plus les moyens, mais en pédalant souple pour laisser couler ces mots, ces questionnements d’une justesse perçante en ces temps de doutes destructeurs.

Il y a 30 ans, Colum McCann intellectuel en herbe, pose ses fesses rebondies sur une selle en cuir et entame un grand tour des Etats Unis à vélo. Il n’a que 22 ans. De Boston, il file vers la Floride puis la Nouvelle Orléans. Arrivé au Mexique, il remonte vers le Canada plein Nord et au terme d’une année à puiser dans cette Amérique profonde un millier de petites et grandes histoires, il parque son cheval à deux roues quelque part dans l’Oregon. Fin du voyage.

30 ans plus tard, cet écrivain engagé avoue dans cet entretien «j’aimerai remonter sur un vélo et je referai exactement le même trajet qu’il y a 34 ans. Rencontrer des gens, les questionner pour voir si ce pays est vraiment déchiré ou seulement blessé». Comment ne pas me sentir électrifié par ces mots ?

Colum McCann plaide pour que nous nous regardions droit dans les yeux, pour que nous écrivions des petites histoires à échanger, à partager, à diffuser. Pour remettre de l’écoute, du dialogue et de la compréhension au centre du cercle, des historiettes du quotidien, du banal, du déjanté, du bancal, du concret, de l’insouciance, du sublime, scénettes éphémères, certaines vite oubliées, certaines s’accrochant à notre mémoire comme l’épine noire.

Comme cette petite histoire se déroulant sous mes yeux dans ce Parc de la Victoire, racontée à travers ces vingt photographies. Elles représentent ces hommes et femmes dans la sincérité d’un jeu dont la complexité n’est comprise que par ceux et celles posant leurs deux pieds dans ce cercle jaune. Ils et elles sont porté.ées par le désir intense de savourer la justesse du geste mesuré.

Sans arrière-pensée, sans faux-jugement, avec recul et retenu, quel délicat exercice de s’inviter ainsi dans ce cercle jaune très fermé !

Photographies prises le 15 août 2024 à #millau lors d’une compétition régionale de pétanque