Au p’tit matin, à quelques heures de l’annonce élyséenne et solennelle du confinement des français, j’ai pensé en ces temps chavirés «c’est quoi un village abandonné, livré aux âmes errantes, aux herbes rampantes ?».
Au beau milieu de mon écran, j’ai donc tapé dans ce rectangle blanc étroit et droit comme une pince à linge «village abandonné Aveyron». Qu’allais-je épingler ?
De cette recherche en ligne, un nom mord à l’hameçon, Le Brézou accompagné du titre «village abandonné aux phénomènes très étranges». La source ne m’inspire guère, il s’agit du site complotiste Wikistrike, un blog conspirationniste bien connu, pignon sur rue, dont l’épicerie en gros de la fake news ne craint pas la pénurie. Pas besoin de gratter le vernis, ovni, disparitions inexpliquées, cancers et suicides, ça fricote avec le paranormal, le texte sent le poil frais du Bigfoot, ça lèche les bottes de l’infox, je descends d’un bloc. Le doigt sur le dos de ma souris, je clique sur le titre suivant « Le Brézou, village construit par l’EDF abandonné dans les années 80 ». Source Wikipédia, à l’appui, un texte et des photos réalisées lors d’une visite intime et documenté d’un promeneur intrigué. Cette fois, cela me semble plus sérieux. Le Brézou, village abandonné ? A en croire ce visiteur anonyme, pas si sûr ? Un délire, une imposture ? A vérifier, ce fut vite décidé.
Curieux, au lendemain d’un vote sans second tour, au petit jour, j’ai donc pris la route de Brommat, carte dépliée sur les genoux, direction Le Brézou, pour sauter de vallées en vallées enchevêtrées. Le Lot en dérive, puis La Selve cadenassée, le ravin de la Maurelle en cascade, la Bromme en embuscade, avant de me faufiler dans les courbes de la Truyère, cette morsure de titan qui peu après le barrage de Labarthe roule des flots lacérant.
Sous un ciel crème de lait, comme ligaturé, cinglé de mille câbles à haute tension reliant les deux versants de ce profond vallon, cet ancien village EDF, je l’aperçue flanqué en contre bas d’une imposante centrale électrique posée là, comme un Drive In géant ouvert sur le néant, comme un fond d’écran surréaliste, une dernière image figée, aux couleurs délavées. Dans le flou du lointain, poutrelles et pylônes en esquisse, vision impressionniste.
Je me suis garé au pied de cette botte à grimper, longue échine rocailleuse qui vient se mouiller les pieds dans les eaux de la Truyère, de la Bromme et du ruisseau des Ondes réunis dans une même écume.
Dans le touffu bourgeonné d’une végétation prête à exploser, passé l’église et sa dépendance emmurée, les premières maisons me sont apparues, en triangle, massives, solides, roches apparentes, boîtes aux lettres en attente. J’ai compté vingt deux bâtisses, autrefois habitées par les agents EDF et leurs familles au temps des glorieuses cités ouvrières et de l’hydroélectricité naissante. La majorité d’entre elles sont reliées par des escaliers cimentés forts pentus, où l’herbe folle plonge ses racines dans la moindre fissure, où la muscari d’un puissant violet se dresse, en colonie, bulbeuse et aventureuse. Plusieurs « chalets » sont habitées, rideaux aux fenêtres, jardinets désherbés, voitures garées, signes de vie affichés, simple évidence, ce n’est donc pas un village abandonné. Le Brézou, c’est juste un hameau délaissé, méprisé, dans un environnement repoussoir. Dortoir à cauchemars survoltés pour certains, petit paradis à bas prix pour autrui, où les lignes THT criblent le ciel, où les pylônes en muguet…quel nom poétique… ! s’invitent en enfer pour chauffer le cul de Lucifer. Les fêlés du frisson post apocalypse repasseront. La veille du confinement, le «jour d’après», ce n’est pas pour demain.
Photographies réalisées le lundi 16 mars 2020 dans le hameau Le Brézou, commune de Brommat (Aveyron) ainsi qu’au hameau Rueyres (à 5 km de Brézou)