« OK, OK, on se retrouve ici demain matin à 8h ». J’ai pensé « là, je vais me prendre mon premier râteau » car un rendez vous à 8h du mat. à Slab City, je n’y croyais guère. J’ai répondu « vous êtes sûre car c’est tôt le matin ! » « Si Si, je serai bien là ».
8h du mat. le lendemain, j’étais bien là à attendre assis sur les marches du Range, cette boîte de nuit à ciel ouvert qui, chaque samedi, s’éveille en accueillant les junkies, les papy et les affranchis du Slab City tous accompagnés de leurs chiens maudits. J’en étais certain, personne n’est venu. Une petite demi-heure durant, j’ai tué le temps. A mes côtés, un jeune homme encore défoncé cherchait à se mettre sur ses deux jambes sans vaciller, se jetant un sac à dos sur les épaules, se coinçant une veille chaise de camping sous le bras et une guitare sous l’autre, pour disparaître dans le bush. « desesparate man » un de plus, un de trop.
Je me suis barré, j’ai roulé dans le quartier. Au loin, j’ai surpris une petite dame à la démarche chaotique. Je me suis approché d’elle « vous allez où comme ça ? » « Je vais au super marché ». J’ai ouvert la porte de droite, elle posa en premier un tabouret, puis son sac à dos jaune et on a filé jusqu’à Niland, à 5 bornes de là.
Au supermarché de cette petite ville éreintée par la canicule estivale, j’attendais Kimberley. La caissière me demanda « mais vous foutez quoi à Slab City ? » Kimberley est arrivée, un caddy bien chargé, avec un sac de glace, un pack de bière, une cartouche de cigarettes, une côtelette, deux gros paquets chips, un bidon de lessive et deux bananes. De sa petite pochette élimée aux couleurs du drapeau américain, elle farfouilla pour trouver sa carte Food Stamp, elle s’en tira pour 50 dollars.
Je rangeais les achats dans le coffre et Kim m’invita « Je vais vous montrer que chez moi, c’est propre ». En repassant devant le petit motel de Niland, elle lâche « la semaine dernière, une copine m’a payé une nuit ici. C’était pour mon anniversaire. Je viens d’avoir 53 ans ». Puis nous passons devant la première caravane installée au bord de la route, celle de droite où l’on vend des bijoux « la semaine dernière, ça a été le bordel ici, on s’est aperçu que la gamine de la femme qui vit seule ici, fumait déjà de la « cristo-meth », c’est lamentable ».
Depuis 2 ans, Kim va et vient entre L.A., Riverside et Slab City. Mais après avoir acheté un petit trailer bon marché et pas trop pourri, 200 dollars, ce pourrait bien être la destination finale pour cette femme originaire de Chicago. Comme promis, j’ai droit à un petit tour complet de son chez-moi. Effectivement, c’est clean de clean. Il y a même des photos de famille punaisées aux murs dont un magnifique portrait noir et blanc de sa maman. Penchée sur la photo, elle me glisse « elle était belle, hein, ma mère ? Mais elle fumait trop. Elle est morte l’an passé ». A côté du placard où sont rangées soigneusement quelques nippes, deux photos interpellent. Kim, ce doit être la blondinette à côté d’un jockey au nom de Hardry tenant fièrement son cheval par la bride. Elle explique « j’ai été 8 ans palefrenier sur un champ de course à Arlington Park ». Elle montre ses mains en disant « là, on bossait dur, mais on se faisait du fric ». Elle me montre une autre photo « là c’était à Hollywood. J’ai bossé 8 ans dans un magasin de musique sur Sunset Boulevard, chez « Amoeba » ». On reconnaît bien Kim avec les autres vendeurs entourant Stevie Nicks la chanteuse des Fleetwood Mac, groupe culte de la pop rock américaine.
Elle poursuit sa visite. Elle se penche, elle attrape un sac poubelle de couleur bleu qu’elle déroule. Elle le plaque au fond d’un seau « voilà, ça se sont mes WC ». « Vous voyez, je ne vous ai pas menti. J’ai tout nettoyé ici » surtout les abords de sa caravane jonchés de détritus laissés avant elle par les squatters qui occupaient ce van.
Kimberley est dans la merde depuis une bonne dizaine d’années. Elle ne cache pas la raison « 12 ans de cocaïne, voilà, c’est ça qui m’a foutu en l’air ». Un jour d’Halloween, elle décide d’arrêter la blanche mais le mal est entré dans ses veines, sa santé en prend un vilain coup, asthme et arthrose. Elle me montre une petite sacoche noire remplie de pilules, du COPD.
On fait le tour du camion. Elle a tendu des voiles noirs pour se protéger de la chaleur. La fraîcheur est toute relative « ça, c’est ma piscine. Je l’ai payé 10 dollars à un voisin ». Il s’agit d’un bac gonflable pour enfant dans laquelle, elle s’arrose régulièrement ainsi que son chien. Car Kim, comme tous les slabbers, ne pourrait pas vivre sans son chien qui répond au nom de « Dudly ». Elle raconte « Je dois vous dire « je suis gay, mais je suis trop vieille pour avoir une copine ». Elle me montre un tatouage sur son épaule « ca, ça veut dire que je suis gay. Mais j’ai qu’en même eu deux enfants, mais je n’ai plus de nouvelles. Voilà, personne ne m’aime. Heureusement, j’ai « Dudly », c’est mon enfant ».
Dehors, un homme passe en poussant un fauteuil roulant qui lui sert de déambulateur. Kim se lève, le voisin l’interpelle. Ils échangent quelques phrases à distance. De loin, je ne comprends pas tout. Kim gueule « Wouai, je suis une salope mais je suis une bonne salope. Laissez-moi seule, j’ai mes problèmes, ça me suffit ». Elle revient, avant de s’assoir, elle prend un bâton, elle fait mine de courser un vendeur à la sauvette « ici, tu dois faire gaffe à tout le monde ».
Kim clope beaucoup. 40 cigarettes par jour. Elle me montre comment marche un petit boîtier rouge acheté à L.A. qui lui permet de rouler ses clopes et ses joints. Elle dit « Wouai, je le sais que je fume trop. Mais c’est qu’en même mieux que la cristo-meth. Quand je vois des jeunes de 20 ans qui fument cette merde, ils deviennent eux aussi des « merdes ». Quand ils passent ici devant son trailer ils lui demandent « mais comment tu fais pour avoir tout ça ». Elle répond « mais merde, je travaille dur ».
Rencontre réalisée le 1 septembre 2018 à Slab City (Californie – USA)