14 heures, l’heure des dernières frites alanguies pataugeant dans les persillades refroidies. 14h, l’heure de la descente à la mer, le père, la mère, la marmaille, cap sur la plage, sous la canicule, ambiance crème solaire et humeur aigre, amère.
14h, au Tenchadou, ce n’est plus l’heure de plaisanter. Dans ce local, où autrefois, les pêcheurs teignaient les filets lorsque les cordages se tressaient d’un coton écru, c’est l’heure du défilé. Les hommes se sont habillés de blanc, dans le respect de la tradition. Des chaussures de toile, au slip en passant par la cravate que David Aprile, l’un des chevaliers de la mer, illustre vainqueur de la St Louis, tend à chacun. On ajuste col de chemise, manches de marinière et nœud de cravate. David l’intrépide laisse glisser « en les voyant tous en blanc, j’ai eu les larmes aux yeux ».
14h 30, c’est donc l’heure venue des jouteurs. Rassemblés, bien alignés, au son du hautbois et du tambourin, poings fermés sur la lance coincée dans le pli de l’haine, drapeaux l’un bleu, l’autre rouge, au carré dans le vent, ils rejoignent le Lez, ce canal aux eaux vertes se jetant dans la Grande Bleue, face à la statue des Pêcheurs.
« Quand tu es là haut, tu as le sang qui boue ». Eperonné en juin, « coccyx », c’est son surnom, se remet d’une vilaine blessure aux cotes. Aujourd’hui, dans une barque bleue, virevoltant à bâbord et à tribord de ces deux gros bateaux de combat, il ramasse pavois et lances tombés à l’eau lorsque le jouteur harponné, connait le mauvais sort en chutant de la tintaine pour sombrer dans les eaux du canal.
Il y a bien un côté chevaleresque à ces joutes languedociennes qui se pratiquent de Béziers au Grau du Roi depuis l’époque médiévale. De ce combat d’homme à homme, on trouve les premières traces écrites dans l’histoire d’Aigues Mortes, au temps des Croisés où soldats et marins, en attendant de hisser la grande voile pour rejoindre la Terre Sainte, se livraient déjà à de telles batailles.
Pour les jouteurs, fiers et téméraires, en posture olympienne sur la tintaine, il n’y a pas de liseuses de bonnes aventures. A deux pas du casino, cela se joue dans l’instant, entre ciel et mer, entre la prise de lance en étau sous le bras et l’affrontement, bref, violant, lorsque le fer s’enfonce dans le bois du pavois de l’adversaire. Il n’y a pas d’esquive possible. Il n’y a pas de roublardise, il n’y a ni feinte, ni mise en garde, ni parade. Ce n’est pas la porte de la mer qui mène au soleil levant qu’ils viennent conquérir, les clefs du port ne leur seront pas confiées. On y rejoue simplement mais vaillamment, Perceval défiant Gauvain ou Lancelot à la conquête d’une place dans le « canal des merveilles ».
Photographies réalisées le 4 août 2018 à Palavas les Flots (France) lors de la Coupe de France de joutes languedociennes