Le trail porte bien son nom…course nature par définition, course en pleine nature aux multiples horizons, courir avec passion dans une nature qui impose ses règles, ses lois, ses règlements cachés et sournois, avec autant de docilité que de tourments qu’aucun satellite météo ne peut détecter.
Ainsi s’est déroulé Tarn Valley Trail avec un départ dans une douceur paisible, une fraîcheur à peine frémissante, un ciel d’une si belle pureté et un cœur de fer et de corde pour réunir les 180 valeureux et téméraires. Un cœur passion, un cœur palpitant, un cœur pour offrir et recevoir, un cœur pour rentrer en conquête, de soi-même, pour fuir les réquiems, une bohême espérée pour fuir le quotidien trop cadenassé, trop réfréné.
Ainsi les Cévennes ont-elles été dévalées, L’Hôpital, le Pont du Tarn, le Merlet, Pont de Montvert, les jambes balayées par les genets en fleurs, odorants, d’un jaune puissant, tableau impressionniste pour s’évader, quelques rebelles en tête, s’enfuyant fringants et gaillards, les deux Samuel, Hubert et Chatard déjà en bataille dans cette dévalade pour retrouver le Tarn s’encaissant en cascade dans une gorge profonde.
Puis les montées se sont enchaînées, une surprise pour personne, Tarn Valley Trail joue cartes sur table. Puis le soleil s’est dévoilé, c’était espéré. Puis le thermomètre s’est affolé. Printemps coquin, printemps assassin pour rissoler et cramer ces conquérants perdant leur fringant, estomacs vite gavés et retournés, la nausée au bord des lèvres, moral déjà en berne, guibolles en vrille pour lutter contre cette chaleur subite frôlant les 30 degrés dans les Gorges et un « petit » 23 presque rafraîchissant sur le causse Méjean.
Ainsi la nature imposa son règlement d’un jour, les premières défaillances, les premiers clignotants, les premiers message radio en provenance du PC, comme celui-ci, une alerte donnée par un randonneur croisant un coureur en pénitence «je vous envoie une capture d’écran. Le concurrent est allongé, il vomit, si vous pouviez identifier le lieu exact. Je ne le quitte pas». Un point bleu apparaît sur l’écran du téléphone, c’est à deux pas du Fayet, l’accès est carrossable, le médical s’engage sans attendre.
Finalement, les abandons seront conséquents, une vraie hécatombe, comme une première ligne de fantassins criblés de balles. La dure loi d’un jour, d’un simple après-midi torride, chaud bouillant, fort heureusement, aucune urgence, la sagesse prévalant chez chacun, chacune. Ne pas combattre l’impossible, ne pas emprunter le chemin de l’inutile.
Devant, la course en tête se règle en toute simplicité. Deux hommes sur le devant de la scène, brûlant les planches, Xavier Semen et David Menanteau, au coude à coude. Pas de chasse patate, c’est l’un, c’est l’autre en tête. De village en village, de gorges en vallée, de causse en causse, course indécise jusqu’au Rozier, 14h29’15’’ pour l’un, 14h29’14’’ pour l’autre. Un bénévole annonce « j’ai même l’impression qu’ils vont finir ensemble »
Ils s’engageront ainsi dans la nuit noire, l’orage menaçant au loin, premiers coups de vent, premiers grains, là encore dame nature aussi fertile que versatile, imposant sa loi, développant l’angoisse au cœur de cette tribu, médical, bénévoles, coureurs, accompagnants, dans le même bateau naviguant sur ce causse de Sauveterre en proie à tous les mystères.
Loin derrière, Martine Latger, deux heures d’avance sur Emma Morton à St Rome de Dolan, km 109, n’a pas d’ennemie à combattre si ce n’est elle-même. Les étapes s’enchaînent, ne dépassant pas les 5 km/heure de moyenne. Les Grands Causses imposent en toute légalité, une règle de jeu simple à interpréter, c’est cassant, c’est brisant. Comment pourrait-il en être autrement après avoir traversé un tel continent ?
A Paulhe, km 142, les accompagnants sont sur les dents, sans visibilité sur la tête de course, lequel des deux sortira du bois pour filer droit sur Millau et conquérir la couronne de lauriers ? Un surveillant route questionne médusé « mais ils gagnent quoi les gars-là ». Il faut grimper haut au-dessus du village, là où la buissière s’éclaircit, là où les falaises se découpent dans un ciel clair pour surprendre l’instant d’une seconde, la lumière d’une frontale surgir dans le noir.
Un homme est donc seul en tête, Xavier Semen, droit, équilibré, d’une impassible réserve, cachant ses émotions, la foulée encore fluide pour fondre sur Millau, pour une arrivée digne et simple d’un homme anobli par la tâche.
Se succéderont ainsi 71 conquérants et 4 conquérantes, 75 corps brûlés, arrosés, dévorés, gavés de tout et de petits rien, 75 cœurs serrés, larmes perlées, barbes poivre-salées. Pour les accueillir, des accompagnants eux-aussi rincés, saoulés par cette douce folie d’avoir vécu un jour si peu ordinaire. Sur la scène, un finisseur soufflera les yeux pétillants « vous avez inventé le trail poétique ». Un autre d’ajouter en ricoché « vous avez pris un autre chemin, gardez ce cap ». Un autre encore de dire la voix cassée « vous êtes dans la résistance ». Des mots en résonnance, quelle chance de les entendre !
Photographies prises lors de la 2ème édition de Tarn Valley Trail – mai 2023 à Millau