Templiers 2024…l’essentiel est juste devant moi !

LE PONT DE CUREPLAT…jeudi 16 octobre…18 heures

Mon père est né dans un moulin. Je n’ai pas échappé à ce même destin. Je suis né moi-aussi au bord d’une rivière et son canal attenant. Ainsi les crues du Cher, de l’Yèvre et de l’Arnon ont rythmé mon enfance. Profondément émerveillé par cette eau submergeant prairies et peupleraies, lacs éphémères à explorer, chaussé de grandes cuissardes, pour me « plonger » dans ces océans léchant lavoir, écluses et fortifications du château.

En ce 16 octobre, au bord de ce parapet à observer la puissance des flots, je ne regarde plus la rivière avec la même innocence. Le Tarn est en révolte. Il gronde, il rugit chargé de troncs filant au milieu du courant puissant comme des obus. La jetée est submergée, jusqu’où peut-il monter ?

Pour autant les inquiétudes sont retombées. J’éprouve même un certain soulagement. Serrés l’un contre l’autre dans une voiture sur le parking de St-Estève, Odile et moi sommes restés suspendus en visio sur notre téléphone au bon vouloir de Monsieur le Préfet de l’Aveyron. Une heure d’échanges où la cote du Tarn monte de 3 mètres à 4,80 sans trop savoir pourquoi ni comment. Qu’importe ces atermoiements compréhensibles au nom du principe de précautions, nos arguments portent. Le Tarn ne se dompte pas, nos plans A et B sont simples et efficaces, nous obtenons le droit d’organiser. L’essentiel est sauvé !

LE MUR DES LEGENDES…samedi 19 octobre…17h30

Deux ans plus tôt, sur la 60, passé Desert Wells et le Dreamers RV Park, nous mettons pied à terre, nos deux vélos allongés dans le fossé. Devant nous, une étonnante structure en métal émerge sur le bord droit de la chaussée. Au centre de cette sculpture, un cône cylindrique surmonté d’un totem amérindien. En admiration devant ce triptyque planté en plein désert californien, je lâche « voilà, c’est ça que je veux pour notre «Mur des Légendes ».

Finalement, après avoir griffonné maints croquis, notre «Wall of Fame» trouve sa version définitive peu avant la fin de l’été et très naturellement, la réalisation est confiée aux Établissements Boissiere.

Reste à inviter les Historiques, ceux et celles qui ont franchi en vainqueurs-res la Grande Course des Templiers. Ils et elles sont 33, 14 répondront à notre invitation.

En ce 19 octobre, en ordre dispersé, nous nous retrouvons ainsi au pied de ce monument de bois débardé et de fer sculpté. Ils et elles se sont serrés.ées au pied de ce drap blanc écru, 28 mains accrochées pour dévoiler ce « Mur des Légendes ». Le grand rire immuable de Corinne Favre résonnant aux côtés d’une Karine Herry très solennelle dans son costume de mariage…beau et émouvant.

LA GRANDE SCENE…dimanche 20 octobre..5h10

10 jours plus tôt, je suis à genou à couper un buis récalcitrant dans ce chemin renaissant aux abords de la mare de Fonsèque. Un coureur passe dans mon dos, il se retourne brièvement «alors, le discours, il est prêt ?».

Je n’ai pas le temps de lui répondre, il file alerte dans cette belle enfilade. Je l’observe, il joue avec ce sentier retrouvant vie. Une autre façon de cheminer que celle de ces bergers et leurs chiens dévoués accompagnant leurs troupeaux à ce précieux point d’eau.

Le dimanche 20 octobre, seul sur cette scène, je sors mon petit papier blanc. Juste une page, des mots simples, des phrases en équilibre, des syllabes choisies pour leur sonorité.

Le silence s’installe, les lumières éclaboussent le ciel. Le son monte, une intro, un instrumental choisi dans le cœur du morceau «Langage» de Zaho de Sagazan et cette histoire de transmission pour découvrir le Causse tel que je l’aime. C’est fascinant.

SALLE DES FËTES DE ST ANDRE DE VEZINES…dimanche 20 octobre…8 heures

La salle est blanche hôpital, froide. Une petite scène noire au fond à droite, un porte manteau, un frigo.

J’ai froid dans le dos. Les images remontent, elle me submerge. Une année déjà, c’était hier à rentrer dans cette pièce. A gauche, un homme assis sur une chaise, les épaules voutées, penchée à ses côtés une infirmière prévenante. Je me présente, j’ai la voix blanche et glacée. J’annonce par des mots que je suppose d’une brutalité infinie le grand départ de Charlotte pour toujours.

Un bloc de désespoir et de souffrance se détache de la montagne et frappe de plein fouet Nicolas. L’infirmière tient les mains tremblantes de Nicolas, la scène est d’une violence inouïe.

Ce dimanche 20 octobre, je retrouve Nicolas. Depuis ce jour fatidique, nous sommes restés en contact. Je pose ma tête sur son épaule. Nicolas a couru l’Endurance Trail pour Charlotte. Je serre mes poings, je retiens mes larmes…On s’étreint.

LIGNE D’ARRIVEE…dimanche 20 octobre…21h30

Je reviens de Massebiau, du déroutage fixé à 19 heures. Pour la première fois, au P98 je suis en poste tôt, accompagné de Gaby, pour profiter, pour savourer, pour encourager, pour diriger vers le grand final.

Je retrouve Valérie et son compagnon, en surveillance au pied du chemin descendant du Roubelier. Le thermo de thé est presque vide mais le sourire est encore là.

Un groupe de supporters arrive. Ils attendent Bruno « on va lui mettre ACDC ». Je me connecte sur Deezer, je branche une enceinte, je ne suis pas fan mais qu’importe, les premières paroles de « Highway to hell » sortent «Living easy…Loving easy…». Sur le bord du chemin, nous chantons, nous nous tortillons, Bruno se laisse désirer.

200 coureurs passent, 19h le déroutage se met en place. Dominique s’arrête, se courbe et s’appuie sur ses deux bâtons. Il me confie « j’ai tout couru, mais là, pour moi c’est fini. Je n’arrive plus à me lever si tôt le matin et je suis de plus en plus en difficulté avec les barrières horaires. C’est ma dernière course. Ma femme m’a dit «je vais t’acheter une canne à pêche et un vélo» ». Il crie «ahhhhhhhhhhh».

Revenu du déroutage, je file droit vers la ligne d’arrivée et son ruban de lumière tamisée. Un à une, je retrouve les compagnons de fortune de Dominique passant sous l’arche du bonheur. J’exulte. Il n’y a ni bougies, ni gros gâteau crémeux pour cette trentième, mais qu’importe, l’essentiel se savoure juste devant moi !

Photographies prises dans l’ambiance d’une fin de course le 20 octobre dans le grand final des Templiers historiques.