Jouque Merle, Le Mazet, Ressançon, autant de lieux isolés, autant de rencontres avec des hommes prêts à raconter les temps anciens nourrissant ainsi l’Histoire propre aux Templiers. Histoire d’une panne de voiture et d’une rencontre insolite en tête de course à Ressançon.
Passé le petit pont enjambant le Crouzoulous, ce torrent né entre le Col de L’Homme Mort et le Saint-Guiral, quatre épingles serrées sont à négocier pour grimper à la ferme de Ressançon.
Dans la première, la plus étroite, la main sur le pommeau de vitesse, le volant tout à gauche, j’ai subitement calé. Frein à main tiré, au point mort, j’ai remis le contact. Rien. Plusieurs tentatives, rien. Pas un sursaut, pas un soubresaut, la panne, idiote, j’étais planté là, au beau milieu de ce virage, l’air con, à me tortiller sur mon siège, impuissant, le pied laissé sur la pédale de droite enfoncée à fond. Méprisant tout autant ce moteur récalcitrant que ma pauvre personne échouée au beau milieu de ce nul part, si loin de l’actuel et du factuel.
J’ai farfouillé ma radio en appuyant plusieurs fois sur la pédale, rien. Pas un son, pas un grésillement, j’étais coupé du monde, le vide, le grand mur blanc, le dos transpirant, perdant le contact avec la tête de course dans un grand silence insupportable.
Je me suis résigné à reculer, profitant de la pente pour caler mon break dans une encoche sablonneuse et herbeuse. Je sortais du véhicule, furax, prenant avec moi comme un laisser-passer bien inutile la carte du parcours et j’attaquais la descente à pied en courant. Je calculais « cinq bons kilomètres en coupant tout droit, en me magnant, j’en ai pour 30 minutes max pour rejoindre le ravito, je limite la casse » voilà ce que je marmonnais lorsque subitement je distinguai clairement le bruit d’une voiture par de-là la colline. Une 4 L de couleur bleue marine approcha et stoppa à ma hauteur. La vitre avant gauche se baissa, le visage m’était familier, je reconnus aussitôt la casquette et la grande carcasse de Marcel coincée dans l’habitacle « je peux vous prendre ? Je vais à la messe à Dourbies ». J’ai pensé «je suis vraiment verni, il me sauve la vie».
Marcel Fada, c’était le frère d’Etienne, deux frangins retraités vivant à la ferme familiale de Ressançon, l’un des lieux les plus isolés qu’il soit, niché dans les Cévennes. Chaque début d’octobre, lorsque les premières teintes automnales creusent des nids de couleur ocres dans la forêt du Saint-Guiral, je rendais visite à ces deux vieux garçons, deux vieux loups solitaires pour discuter droit de passage, ce n’était qu’une formalité, mais plus sûrement pour les écouter de l’autrefois, de l’avant. Installés tous les trois autour de la table de cuisine en formica recouverte d’une toile cirée imprégnée d’une forte odeur de feu de cheminée, nous prenions ainsi le café en trempant des gâteaux secs, des petits beurre LU sortis d’une boîte en fer. Pour retenir le temps et briser ainsi cette lourde solitude, après chaque gâteau, ils m’invitaient en secouant la boîte « allez manger, manger…encore un, encore un…Un autre verre de café… ?
Immanquablement, nous évoquions la chasse, les châtaignes, les cèpes séchant sur des claies. Puis, il était temps de se quitter en craignant la poignée de main de Marcel, puissante comme celle d’un bucheron qu’il avait été avec son cheval pour sortir le bois dans ces travers escarpés. Sur le pas de la porte, sous la petite véranda, ils ne manquaient jamais de me rappeler comme deux vieux sages prévenants « Ah, les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient. Imaginez qu’ici, nous avons déjà eu de la neige plus haut que ce toit » en pointant du doigt ces cages à lapins coincées entre deux rochers et une fontaine d’où coule une eau claire et pétillante.
Ce dimanche, j’ai repris la route de Ressançon, ce ruban de gravillon de la largeur d’une charrette, le virage dangereux à angle droit à La Rouvière, les sources guillerettes alimentant les fossés, le petit pont, les quatre virages s’ouvrant sur un alpage. Autrefois, des épouvantails marquaient l’entrée de la propriété. Grandes croix mal ficelées, habillées de vieux oripeaux, plantées en quinconce comme pour chasser corbeaux et vieux démons grinçant des dents les nuits de pleine lune. Aujourd’hui, un grand panneau indique «propriété privée«. Les temps ont bien changé !
Photographie, la petite route de montagne sous le St-Guiral conduisant à Ressançon