Fanfare de rue, photo de rue, l’instant présent

La photo de rue a ce côté puissamment addictif. Ce besoin irrésistible de tout lâcher pour raser les murs, se cacher dans les ombres, à marcher à pas feutrés, une paire d’yeux sur orbite, le corps tout simplement transparent pour une déambulation fantomatique.

On peut craindre les overdoses et les descentes en enfer à côtoyer Lucifer, qu’importe, au contraire, elles sont le speed de cette transe non contrôlable vous poussant comme un gros coup de pied au cul à prendre la première ruelle, la main droite chargée d’un cube noir que l’on souhaite le plus discret possible, comme s’il s’agissait de planquer cette came vous infusant une énergie extraordinaire.

La photo de rue est ainsi, elle vous transporte dans un état second au contact du monde réel, du quotidien ordinaire, à voler des bouts de vie, le regard s’affolant, la respiration en apnée, le corps figé comme un chien à l’arrêt devant un geste, un désordre, un point de rupture dans l’insignifiant cours tranquille de la vie. Le temps d’un déclenchement…Clac.Clac…C’est rarement ajusté comme espéré, ce temps de bascule, ce point de rupture déjà envolé mais qu’importe, c’est le prix à payer, c’est puissant.

Samedi, à l’heure de l’apéro, j’ai garé mon cargo place Foch. Je ne suis pas allé bien loin. A peine quarante mètres pour m’assoir autour de la fontaine à observer cette petite vie de quartier lorsqu’une fanfare s’est installée. Etalant un petit tapis gris, des cuivres astiqués sortis de leurs housses, le micro aussitôt perché et la chanteuse en robe de scène noire plaquée, les yeux sertis d’un épais eye liner. Lady Pavillon et ses Cuivres du Bengale prenaient possession de l’espace.

Nul besoin d’aller flâner et fureter plus loin, j’ai tourné autour de cette petite famille musicalement bien orchestrée et rythmée animant joyeusement une grosse poignée de passants, sympathisants et estivants réjouis, tapant la mesure du pied sur le pavé brûlant.

Le spectacle de rue, c’est ainsi, dépouillé et éphémère. Il se rapproche de la photo de rue dans ce théâtre urbain aux jeux de rôles imprévus. On se réjouit du peu, on se nourrit de l’inattendu, on caresse l’instant présent. Pour frissonner, c’est suffisant !

Photographies prises le 20 juillet 2024 dans le cadre de Millau en Jazz