Et merde, si rien ne changeait

 

MILLAU-VID

 

Il n’y a rien de perdu, la route est encore là.
Elle est droite, elle est courbe, elle est belle, elle est tunnel,
Elle nous résistera.
Il n’y a rien de perdu, la rivière est encore là.
Elle court, elle ralentit, elle est rebelle, elle fait la belle,
Elle nous résistera.
Il n’y a rien de perdu, les villages sont encore là,
Peyre, Candas, Le Pinet, Le Truel,
Ils nous résisteront.
Il n’y a rien de perdu, les barrages sont encore là,
Arcs de béton, remparts en escadron,
Ils nous résisteront.

Voilà, j’ai repris la route, devant moi,
Enfin, je n’étais plus hors la loi.
J’ai posé le stylo, des doutes au kilo,
Au tapis, un gros tas de dominos.
Je rêvais d’un Giro, d’une belle envie, d’un perpète-les-oies,
J’ai serré les cales pieds, je ne me suis pas dit «là, tu fais quoi ?»

J’ai lâché les freins, j’ai filé droit,
J’ai lâché la bride, sans m’dire pourquoi ?
J’ai embarqué un paquet de mots bien ficelé,
Au cas ou, pour botter le cul aux reflets déjantés.
J’ai embarqué un chapelet de refrains à libérer,
Au cas où, pour gifler les joues creuses des mauvaises pensées.

J’ai roulé, j’ai roulé, j’ai roulé,
J’ai croisé des hérons cendrés, leur liberté, je l’ai enviée.
J’ai roulé, j’ai roulé, je n’ai jamais freiné,
J’ai croisé le silence, j’ai pensé à tous les évadés.
J’ai roulé, j’ai roulé, sans me retourner, sans réfléchir «là tu fais quoi ?»
La rivière à mes côtés, sans me lâcher, se foutant bien de moi.

J’ai laissé derrière moi, tout ce grand merdier,
Les deux mains sur le guidon, à fuir les odeurs de fumier.
J’ai coupé les virages, sans rétro, sans cligno,
En roue libre, surtout, de ne plus être réglo.
Mettre enfin pied à terre, dernier tour de pédalier,
Se dire et merde, si rien ne changeait, sommes nous poings liés ?

 

 

Texte rédigé le dimanche 3 mai 2020. Photographies réalisées les 26 et 27 avril 2020, dans la vallée du Tarn entre Millau et Lincou au 41 et 42ème jour du confinement.