Le pin sylvestre est malicieux, impérial. Il grimpe, il grimpe droit, fier, rectiligne pour caresser le ciel, «directicîme». Il ne s’occupe que de lui-même avec cette liberté en offrande. Il grimpe les étages, il ne craint pas les commérages. Il devient vénérable, intouchable.
Le pin sylvestre est noble, chapeauté d’une belle tignasse, épaisse, dense. Il regarde de haut ces petits chênes poussés ici et là dans la souffrance, plus bas encore, ces petits buis qui se trémoussent, certes libertins poussant ici et là, mais petits nains des pins.
Le pin sylvestre est tourmenté, capricieux voir espiègle. Il prend des virages inattendus. Il se courbe, il se tord, il se noue, il part à gauche puis retrouve la marche du ciel. Avec souffrance ? Si seulement il pouvait s’allonger pour se confier sous une lumière tamisée ?
Je suis accompagné de Claire et Olivier. Nous marchons dans ce grand carré de forêt naturelle, coincé entre la route des fermes au Sud, la voie communale de Pierrefiche à l’Est, le domaine de La Salvage au Nord et les Baumes à l’Ouest. Il y a bien des dômes, des huttes, des yourtes, ici et là, nichés, lovés, mais il y a surtout ces pins majestueux, un brin taquin à s’évader parfois tortueux et noueux, pieds de nez à tous les équilibres, doigts d’honneur à toutes les lois de la nature, le pin messire qui ose toutes les arabesques les plus extravagantes.
« Toi, qui es tu ? Peux-tu me raconter ton histoire ? Mais enfin, expliques moi, quelle crainte, quelle trouille avais tu au point de fuir ainsi ?». Un désir de liberté ? Un état de légitime défense ? Devant cet arbre coudé à l’angle droit, équerre parfaite, 90 degrés d’excellence, j’aurai aimé poser ces questions, tendre l’oreille au plus près de l’écorce rugueuse, sentir le parfum de la résine et entendre un gémissement, une complainte ou simple aveu rieur de celui qui nous a joués un bon tour.
La forêt d’Oliver et de Claire est enchanteresse. Il faut lever le nez et suivre ces lignes, ces courbes, ces revirements, ces compressions pour découvrir l’imprévu ou l’ingéniosité de la nature. Cette petite marche me laissait une certitude, voilà bien pourquoi on pose son sac ici pour dormir au plus proche des étoiles, dans le silence des rameaux, dans le mutisme indéchiffrable des arbres.
Olivier et Claire habitent le Cun depuis 2016. Un peu beaucoup parisiens, lui de Viry Châtillon, elle de Savigny le Temple, un peu beaucoup bretons pour avoir migré en terre celtique au gré des mutations. Olivier fut en effet hockeyeur évoluant en équipe pro, après Viry, Tours, Reims, ce fut Brest qui repéra ce petit gabarit fluide et agile, un peu lutin dans cette tribu de mastars à la crosse vacharde. Quant à Claire, elle aussi sportive, un peu d’athlé jeune, du 15 et du 3000 puis des 10 et du semi, c’est dans le social qu’elle s’implique, son dernier emploi dans les Côtes d’Armor, conseillère en insertion professionnelle pour les jeunes en difficulté.
J’ai croisé Olivier un jour des Templiers, pour la première fois, l’an passé, la veille de la tempête, adossé au grand muret bordant la ferme du Cade. Nous étions inquiets sur le risque climatique mais sans plus, dans l’imprécision, dans l’espérance d’un épisode pluvieux se purgeant comme souvent, sur les contreforts lointains de l’Aigoual et du St Guiral. Je connaissais très vaguement l’histoire de ce breton larguant les amarres et les rivages du golfe du Morbihan pour chercher une mer plus assagie et apaisée, le Larzac en question, découvert un jour de Templiers en 2008 disputé avec Claire et un petit fourgon de bretons.
Le reste de l’histoire, c’est assis sur une terrasse en bois attenant à la maison d’accueil qu’elle m’est contée, les chiens Gaia, Opale et Emba me léchant les mains à tours de rôle, Claire, un lapin noir docile et presque ronronnant comme un chat sur les genoux.
Comme certains pins sylvestre s’autorisant un grand virage à angle droit, sans équerre ni compas, Claire et Olivier n’ont sorti aucune règle de calcul pour tirer une diagonale. Prendre la tangente pour un nouveau départ, être en concordance avec son temps, le temps de l’apaisement, vivre mieux et plus simplement avec une idée simple trouver un lieu où l’on peut développer une activité d’accueil et se dire «on est bien ici». Deux étés durant, ils cherchent un petit coin de paradis, sur le Larzac pourquoi pas mais cela semble inaccessible, les Cévennes, pourquoi pas mais trop lointaines.
«On est bien ici», cette phrase est finalement prononcée en cœur à l’entrée de cette longue piste conduisant à ces 14 hectares de bois en avril 2016. Au cœur de ce petit parc, un éco-camping avait été créé dans une enclave conquise par les militants de la lutte contre l’extension du camp militaire, Lanza Del Vasto le sage en maître spirituel des lieux prêchant la non-violence, dénonçant le profit, la cupidité, prêchant la décroissance et «l’éloge de la vie simple». Oliver et Claire l’avouent «nous avions une certaine fierté à investir ce lieu» recevant dès l’ouverture d’anciens militants, apôtres de la paix en pèlerinage, en vagabondage.
Le CUN est un sanctuaire, il porte l’ombre de Lanza Del Vasto, le padré, sa cape, sa canne, sa croix, son immense barbe blanche, ses silences, sa voix douce et posée, il est encore là quelque part dans les bruissements, tapi, caché. Olivier et Claire n’ont donc touché à rien pour gérer et accueillir campeurs, randonneurs, voyageurs, d’un jour en séjour, curieux et envieux d’une telle paix et harmonie dans un décor où aujourd’hui chevaux, poneys, ânes, chèvres, brebis, chiens, poules et lapins ont trouvé eux-aussi un champ de liberté. Cette petite ménagerie hétéroclite s’est éprise, elle aussi, une herbe savoureuse entre pins, cades et genévriers, dans les jupes et les basques de Claire, médiatrice de formation et artisane du bien être par l’animal. Depuis deux années, auprès des EHPAD, Maisons d’Actions Sociales et Foyers de Vie, elle conduit son petit troupeau, sa poule Angie, ses lapins Cacao et Chocolat, Choupa et Choup, avec caresses, soins et douceur comme des onguents pénétrants pour créer du lien avec l’animal «pour qu’un jeune retrouve estime de soi, un jeune qui a besoin de réapprendre à vivre avec un cadre, se lever à heure fixe, à finir un travail débuté» explique-t-elle «par le côté sensoriel, le touché, l’odeur» au milieu de ce petit oasis où l’animatrice mène sans baguette ni tambour des caprins sautillants, pétillants et un brin gourmands du bon pain.
Ici, le temps est une longue respiration, le confinement, une plus longue, une plus lente respiration retenue «nous avons fait le choix de venir vivre ici, donc nous assumons» même si l’année s’annonce blanche ou noire «de toute façon, ça ne sert à rien de tourner le problème dans tous les sens, nous n’avons pas les cartes en main» pour savoir quand et comment ouvrir avec des contraintes fortes mais acceptables.
Depuis le 17 mars, Olivier, l’ancien constructeur de maisons ossature bois plante, cloute, scie, ponce. Il jardine, aujourd’hui les plans de salades de Marie-Pascale attendent d’être plantés à l’arrière de la maison. Investi dans la gestion de la maison de quartier du Larzac, là aussi tout s’est tu, grilles fermées, herbe folle dans la petite cour de cette ancienne école, la trompette dans son étui, il rigole «un jour un copain de la fanfare locale m’a mis un tuba dans les mains. Je lui ai dit la trompette ça va me suffire».
Quant à Claire, en ce jour maudit du 17, jour funeste où le monde a dévissé, elle franchit la porte d’un EHPAD de la vallée de la Dourbie. Pas infirmière, pas aide-soignante, juste animatrice-médiatrice, dans l’échange, dans l’écoute «j’aurai été frustrée si je ne m’étais pas engagée pendant ce confinement». Elle ajoute « J’avais besoin de me sentir utile ».
Texte et photographies réalisés le jeudi 23 avril 2020 au 38ème jour du confinement chez Olivier et Claire Bordas gérants de l’Eco-camping du CUN, route de St-Martin du Larzac – Millau