MILLAU-VID
L’interview d’Edouard Philippe ne les a pas vraiment rassurés. De toute façon, quelques peuvent être les bons mots pour apaiser les doutes ? Quelques peuvent être les bonnes mesures à annoncer coincées entre illusion et pragmatisme d’Etat ?
Au final, que reste-t-il de ce blabla formaté, conditionné que l’on vous sert sur un plateau télé vous assommant comme un triple shot d’alcool fort ? Pas grand-chose, si ce n’est rebondir ou esquiver, se répéter une litanie de mantras pour meubler une soirée aux aguets et embrumée qui se résume à une phrase interrogative simple «Rien ne peut y faire, alors on fait quoi ? Rien ne peut y faire, alors on fait quoi……?».
Arnaud et Jean François n’ont donc pas trouvé la réponse à cette question simple «Alors, on organise ou bien nous annulons ?». Pas même en une soirée, pas même en une nuit, pas même en une journée, cette question sans réponse comme gravée sur un disque rayé «Alors, on organise ou bien nous annulons Trail En Aubrac ?».
Revenons tout d’abord à cette soirée du 20 novembre 2019 dans les bureaux des Templiers. La grosse quinzaine de chefs de poste est conviée à une réunion de travail dans la grande salle de réunion. L’Hivernale est proche, trois semaines, c‘est presque demain, l’odeur du Roquefort se fait déjà sentir à nos babines. Après l’annulation des Templiers, ce soir là, l’équipe se soude autour d’une promesse, le sort sera conjuré, les dernières plaies seront cicatrisées, cette troisième édition sera une réussite.
Puis l’équipe monte le grand escalier de fer pour s’installer en arc de cercle dans cette grande salle ouverte. Jean François et Arnaud sont nerveux, c’est leur grand jour. Passer de bénévoles de l’ombre à organisateurs, un passage de témoin applaudi par l’assemblée des sages. Les deux gaillards sont émus, petits discours, quelques étreintes fraternelles, les dés sont jetés, déjà des idées, c’est parti pour une grande aventure, le premier jour de l’été.
Jean François et Arnaud, Jeff et Nono pour les intimes, deux amis de longues dates, deux VTTistes de passion et trailers à l’occasion deviennent ce soir là les organisateurs de Trail en Aubrac. Deux noms, deux visages, des bonnes bouilles aimées de tous pour leur discrétion, leur bonne humeur et leur savoir faire.
Alors débute ce long travail d’appréciation de tous les postes, de toutes les contraintes, du budget, source d’équilibre avec une priorité, être légitime et se faire accepter pour que les portes de l’Aubrac s’ouvrent sans grincer sur leurs gonds «Finalement, tous étaient prêts à nous donner leur confiance, sans méfiance» raconte le binôme de concert « Ce fut un travail de fond ». Que les éleveurs mettent un nom sur leurs visages certes mais qu’ils puissent eux même identifier fermes, parcelles, troupeaux, burons et boraldes en arpentant les alpages, en rentrant dans les étables « Un jour nous arrivons chez Monsieur Couderc à Bonnefon, un veau venait de naître et la vache léchait le nouveau né». Des odeurs puissantes, des couleurs tamisées, en demi-teintes, des meuglements, des gémissements, un instant de partage et de pur bonheur. Cette première partie est gagnée laissant dire au duo «nous pouvons dire que nous étions prêts à organiser».
Aujourd’hui, Jean François et Arnaud vivent un cas d’école, prendre ainsi avec tant d’enthousiasme la destinée d’une épreuve d’un âge mûr, d’une plus value reconnue et se confronter à une éventuelle annulation, une mise hors jeu, un baptême du feu sans armes pour éteindre les flammes. La Cité de la Pierre, Verticausse, Chanac, le Viaduc, le Roc de la Lune toutes frappées d’un coup de tampon au claquement sec, à l’encre rouge, un seul mot, annulée…annulée…annulée…annulée…Alors faut-il résister ou se résigner ? Ils ne sont ni pleurnichards, ni furibards, ils répondent ainsi très posés «Nous nous donnons jusqu’au 10 – 11 avril. Car cette annulation si telle est la décision que nous prenons, nous souhaitons la réussir. Cela fait partie de l’organisation. Pour qu’il y ait le moins de frustration possible, que la décision soit légitime et conforme à la situation sanitaire. De toute façon, le travail de fond ne sera pas perdu. Nous avons à cœur de réussir cette année ou l’an prochain».
Cet hiver, Arnaud le designer et Jean François le webmaster ont acheté une belle cloche au timbre clair et puissant. Elle sera installée sur la ligne de départ, accrochée à un vieil arbre au bois nervuré qu’ils ont déniché dans un ravin sec du Causse Noir. Premier symbole fort pour marquer leur nouveau territoire, pour sonner ce nouvel été ? Ou bien la future nouvelle année enfin apaisée ? Nul ne sait.
Texte et photographies réalisés à Millau le 3 avril 2020 au 18ème jour du confinement.