Il faut peu pour lancer une idée

Festival des Templiers

 

Une pièce froide, un lino luisant, plus rien dans les coins. Au plafond, juste une ampoule pour éclairer cette petite chambre de gentil garçon et puis ce carton. Là, posé là…comme une valise abandonnée, dernier signal, là, en bout de quai. Dernier trait d’union, comme une dernière pelure d’oignon à peler, à pleurer, déconfis, vie en confettis.

J’ai fouillé, j’ai feuilleté, des petits cahiers Héraklès. Odeur de carton humide, de papier mâché. J’ai saisis le premier, couverture rose, papier velin neige, 48 pages. Quelle classe ? C’est écrit sur la première page, lettres parfaites au rotring, année scolaire 1968 – 1969, 4ème M2 1, CES de Mehun sur Yèvre, entre parenthèse (mixte). Au milieu de la pile, un petit cahier, même format, couverture verte, le scotch a jauni mais reste collé aux quatre coins. Page 6, un cours de secourisme «comment apprendre à faire une piqûre ?». Défraîchi, jauni, vieilli, couverture kraft, un cahier de chant, des chants du Berry. Belle écriture à la plume, pas vraiment mâture mais sans rature. Fin d’année 68, j’écoutais Jimmy Hendrix, l’album «Electric Ladyland» la nuit chez Blanc Branquart, planqué sous la couette, les pieds dégivrés sur une chaufferette. La même année, debout, intimidé, devant Monsieur Carré, un prof aimable comme une pierre tombale, je fredonnais,  droit comme un piquet, poitrine ouverte »je n’avais qu’un épi de blé». Le grand écart, décollage assuré, atterrissage déjanté.

A genoux sur le lino, j’ai classé le tout, trois piles, les cahiers, les livres et une collection de vieilles cartes postales, de cartes d’anniversaire qui ne sentent plus le muguet ni la violette et puis au fond du carton comme une bouteille échouée sur le sable humide, une grande enveloppe expédiée le 1 novembre 1995. Voilà ce que l’on trouve au fond d’un carton, à genoux, le dos rond, lorsque l’on vide une maison de famille dans une pièce qui pleurent les souvenirs froids. Je venais de retrouver le premier prospectus des Templiers à peine froissé et soigneusement plié ainsi que le premier article de presse annonçant la création de cette épreuve. Des documents oubliés, même pas archivés. Deux petits magots, hold up improvisé dans une chambre à souvenirs, au pied levé.

A la une du Midi Libre, petit rappel des titres. En vrac «Jeanne Calmant, record battu, 120 ans, 7 mois et 24 jours»… »Berlusconi sera jugé pour corruption en janvier»…» Terrorisme, les menaces du GIA contre la France confirmées»…et puis sur le haut de page, un bandeau jaune, un titre accrocheur en lettres capitales «UNE NOUVELLE RACE DE TEMPLIERS SUR LE LARZAC». Page 3, une pleine page, un dossier décortiquant le trail, cette idée douce et espiègle à dépouiller comme on s’effeuille en se bécotant et en fumant sa première cigarette. Juvénile mais intrépide. C’est signé François Charcellay, un vieux copain d’athlé, ami défunt, ensemble et en commun nos premiers 50 bornes à 18 ans, nos premiers 6 heures, lui devant, moi dandinant loin derrière. Lui à rêver des J.O., moi à rêver de mes premières photos.

29 octobre 1995, ce fut donc la date des premiers Templiers, j’avais oublié. Un prospectus simple, clair, une distance annoncée quant à elle très imprécise et un dénivelé calculé au jugé, il faut bien l’avouer. Depuis, nous avons été pardonnés !!! Même le croquis du parcours, aussi minimaliste soit-il, seulement six traits reliés par des points, était faux, archi-faux. Mais qui allait s’en plaindre ? Parfois, il faut peu pour lancer une idée. Un peu de culot et un grand saut dans l’inconnu d’une fragile équation pour vivre un absolu, sans soustraction, sous tension. Sans attendre trop…beaucoup !!! Sans se noyer dans une rivière de « j’aime » aveuglant comme des faux diadèmes. Facile à dire, mais parfois si dur à vivre !

 

Texte rédigé le 13 février 2020 à Millau (France)

 

Festival des Templiers