Avant de publier ce reportage réalisé à l’occasion d’une épreuve Sport Adapté dans le parc de la Victoire à Millau, j’ai relu les mots de Grand Corps Malade lorsqu’il chante « Sixième sens ».
Les voici….
J’ai découvert de l’intérieur un monde parallèle
Un monde où les gens te regardent avec gêne ou avec compassion
Un monde où être autonome devient un objectif irréel
Un monde qui existait sans que j’y fasse vraiment attention
Ce monde-là vit à son propre rythme et n’a pas les mêmes préoccupations
Les soucis ont une autre échelle et un moment banal peut être une très bonne occupation
Ce monde là respire le même air mais pas tout le temps avec la même facilité
Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés.
On met du temps à accepter ce mot, c’est lui qui finit par s’imposer
La langue française a choisi ce terme, moi j’ai rien d’autre à proposer
Rappelle-toi juste que c’est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin
Et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est d’abord un être humain
Alors pourquoi tant d’embarras face à un mec en fauteuil roulant
Ou face à une aveugle, vas-y tu peux leur parler normalement
C’est pas contagieux pourtant avant de refaire mes premiers pas
Certains savent comme moi qu’y a des regards qu’on oublie pas
C’est peut-être un monde fait de décence, de silence, de résistance
Un équilibre fragile, un oiseau dans l’orage
Une frontière étroite entre souffrance et espérance
Ouvre un peu les yeux, c’est surtout un monde de courage
Quand la faiblesse physique devient une force mentale
Quand c’est le plus vulnérable qui sait où, quand, pourquoi et comment
Quand l’envie de sourire redevient un instinct vital
Quand on comprend que l’énergie ne se lit pas seulement dans le mouvement
Parfois la vie nous teste et met à l’épreuve notre capacité d’adaptation
Les 5 sens des handicapés sont touchés mais c’est un 6ème qui les délivre
Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction
Ce 6ème sens qui apparaît, c’est simplement l’envie de vivre
Les deux mains accrochés à un petit volant, le dos courbé, les jambes repliées, j’ai vu des hommes, des femmes, de jeunes garçons, de jeunes filles dans le «sixième sens».
Les yeux fixés sur ces courbes puis ces lignes droites, instinct vital de rouler vite, vite, vite…fort, fort, fort…dans ces pleins et déliés, à mouliner des guibolles, à serrer des dents, à sentir le vent glissé, flirté, sifflé. Avec tant de force et de faiblesse, de retenu et d’exubérance, de calme et d’excès, parfois dans la lenteur extrême, comme une longue ascension, une traversée en eaux profondes. Dans ces allées poussiéreuses, comme un ballet, un tourniquet avec des ricochets, des hoquets… »quand la faiblesse physique devient une force mentale» pour reprendre la phrase de Grand Corps Malade écrite au fusain sur une vitre sans teint….» double lecture, double capture… »lorsque la faiblesse mentale devient une force physique» pour se réunir, par esprit d’équipe, course épique pour desserrer les cadenas, pour dégripper les gongs, pour alléger les semelles de plomb «Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction».
Au pied de ces grands arbres centenaires, de ces troncs puissants comme des colonnes de marbre, sous cet épais feuillage comme un doux voile de velours frémissant, par la puissance de ses deux jambes…par «cette envie de vivre»…par ce désir de s’unir…pour rapprocher deux rives, deux continents, pour réduire une fracture…Est-ce cela le sixième sens ?
Photographies réalisées à Millau ( Aveyron) lors d’une compétition sport adapté de karting à roulettes le 15 mai 2019