Lettre à mon tonton Albert que j’ai toujours appelé Albert 1er
Cher Tonton,
Je ne résiste pas à l’idée de t’écrire ces quelques mots.
Car ce matin, je te devine déjà froncer les sourcils, j’assistais à mon premier défilé militaire à l’occasion du 14 juillet.
En réalité, ce n’est pas tout à fait une découverte. Car autrefois, j’assistais à maintes parades cadencées sous des soleils à faire fondre des enclumes dans des pays où la justice n’est que parodie, où l’on égorge encore pour un vol de poule.
Comme tu le sais sans doute, cela ne t’a pas échappé, la Légion Etrangère s’est installée dans les murs du camp militaire de La Cavalerie. Je vois ton petit sourire en coin car j’ai encore le souvenir précis de cette phrase que tu répétais à qui voulait bien l’entendre « il faut toujours se méfier du mouvement de balancier ». En effet, dans ce cas précis, le retour de l’infanterie à La Cavalerie, quelle ironie du sort !
J’ai passé l’âge de te surprendre toi qui a pourtant tout essayé afin de me faire admettre que l’armée, nous en avions besoin. Je ne vais pas te resservir tes discours qui ont animé plus d’un repas de famille. Très arrosés, je l’admets. Je me souviens d’un 14 juillet, justement !!! Tu avais bien failli en venir aux mains avec ton frère René. La guerre d’Algérie a laissé de longues cicatrices que l’on n’évoque que rarement.
Bon je l’avoue, mon vieux fond antimilitariste pur et dur qui te révoltait, a pris l’eau et mes convictions se sont émoussées. Ma position n’est plus aussi tranchée que lorsque j’écoutais Neil Young même si j’ai douté de notre armée lors de son implication avérée dans le génocide Rwandais . Même si je doute encore de l’intérêt de notre engagement en Centrafrique. D’ailleurs sur ces deux points, j’aimerai connaître ton avis.
J’ai donc assisté à ce défilé sans a priori. Du moins je l’espère. Cela aussi, je l’ai appris de toi. La vie n’est pas une commode anglaise. « Ne pas mettre les gens dans des cases », ça aussi tu le répétais autant qu’il le fallait pour que nous soyons éduqués dans la compréhension et l’acception des différences de chacun. Dans la famille et dans le quartier, tu étais bien le seul à prendre la défense de ces immigrés portugais venus vendre leurs bras. Cela te révoltait. Et aujourd’hui, cela résonne encore à mes oreilles lorsque tu hurlais si fort en entendant le mot « portos » siffler à tes oreilles.
Bref, j’ai vu des jeunes soldats inconnus, frais et lisses comme des fleurs d’iris. Je l’avoue, je me suis senti l’étranger. Si loin de cet engagement, de cette volonté à servir une nation, une cause, à combattre l’ennemi toujours plus obscur. Moi qui n’ai jamais touché une arme de ma vie, finalement, cela signifie quoi « mettre le doigt sur la gâchette ? ». Moi qui fut si rétif à l’ordre, à la hiérarchie, cela signifie quoi « marcher au pas ?». Moi qui ne me suis jamais recueilli sur la tombe du soldat inconnu, cela signifie quoi « mourir pour la patrie ? ».
Voilà, j’avais besoin de t’écrire cela.
Tonton, j’espère toujours que tu fais briller tes médailles à la peau de chamois comme autrefois. Car je pense qu’elles ont encore besoin de scintiller.
Je t’embrasse affectueusement.
Gilles
Photographies réalisées le 14 juillet 2018 à Millau (Aveyron) dans le cadre du défilé du 14 juillet avec la Légion Etrangère basée au camp militaire du Larzac.