L’ouverture, c’est le nouvel an des pêcheurs. Un rituel sans chandelle pour les mordus qui font mordre à l’hameçon, pour les férus du barbeau, du gardon, de la tanche et du hotu. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il gèle, que les narcisses hésitent à sortir leur couronne d’or, que les pâquerettes guillerettes se frottent le nez dans la rosée du matin, c’est l’ouverture de la pêche.
Au petit matin, le jour à peine naissant, l’asticot frétillant connait déjà son sort, les bouteilles de Mennetou, de Quincy, de Reuilly aussi. Elles seront vidées sur le coup des 11 heures lorsque le bouchon de liège vernis sera lassé des allers et venus, fainéant et immobile dans le clapot docile d’une eau verdâtre.
L’ouverture de la pêche, ce n’est pas qu’une histoire de fritures et de « brason » à moitié vide, à moitié plein. Certes, on se lève aux aurores quand le chien dort encore. On mouille les bottes pour lancer le fil et l’hameçon sur le fond vaseux mais c’est d’abord une histoire de copains qui resserrent les rangs et les crans d’une amitié. Il y a le temps de la pêche, du goujon taquiné, de la truite qui se défend cambrée puis il y a le temps de la pêche aux histoires de chacun. Les verres se remplissent, le vin blanc est sec et fruité. Les histoires rebondissent. La retraite de Pierre, les vieilles douleurs de Paul, la CSG débattue, les vacances en camping car tant attendues et la cataracte qui fait de l’œil à tous. Dans la musette de chacun, on tire du sac, un quotidien passé au filtre du temps qui file.
L’ouverture de la pêche, c’est poser ses fesses sur un petit siège au bord de l’eau. C’est se geler les pieds. C’est prendre la flotte sur le paletot. C’est transpirer sous la chemise à carreaux selon la météo. C’est regarder son ombre qui frétille dans le clapot. C’est plissé le front, c’est plissé les yeux pour suivre du regard le lent, lent, lent déplacement du bouchon rouge qui se refuse à foncer, à piocher dans l’eau trouble. C’est calme. C’est penser à rien, à pas grand chose, sans suite bien définie, sans queue ni tête. En principe, c’est tendre des lignes. C’est peut être tout simplement prendre le temps.
Reportage réalisé le 9 mars 2018 à Vierzon (Cher), jour de l’ouverture de la pêche