« C’est ça le service public »

 

MILLAU-VID

 

J’ai bien failli louper le bus. Je l’ai vu au loin rentrer dans l’impasse du Lycée Jean Vigo, j’ai pressé le pas. Comme un parisien perdu en chemin, j’ai demandé « La ligne 2, c’est bien celle-ci ?». Le chauffeur intrigué me rétorquant « c’est bien à Géant que vous allez ? ». Les portes se sont fermées. Je me suis mis le nez à la fenêtre. Cap sur Géant, il était 14h10 départ pour un petit voyage gratis.

José, c’est le chauffeur, vingt ans de métier, à trois mois de la retraite. Dans une autre vie, il fut cuistot, neuf ans à l’International Hôtel, du temps de Madame Hélène la cheffe de rang, du temps de Maria la serveuse, du temps où cette bonne table attirait les bourgeois de la ville, gantiers, avocats, médecins et chirurgiens endimanchés, femmes en jupes plissées et corsages à fleurs sauvages. Entre deux ronds points, José de se souvenir, le nez sur le volant «on ne comptait pas nos heures. Parfois 17, 18 heures, fallait tenir la cadence».
A trois mois de la quille, José roule tranquille. Déjà le Mandarous, pas un chat, on grimpe la République, une petite musique s’échappe de l’avant du bus «j’aime bien Nostalgie ». Balavoine chante «je ne suis pas un héros»…12 minutes top chrono, on est déjà sur le parking de Géant Casino.

Le bus retour est à 16h, j’ai une heure trente pour arpenter ces parkings orphelins, ce goudron qui ne craint pas le trop plein, ces gros sous marins en rade, casernes désertées au bord de la noyade.

16h, retour au bercail, ligne 1, direction Naulas, les hauts de Millau où les pavillons poussent du coude les buissons du causse pour des « sam’suffit » mignon mignon. Changement de chauffeur «Ah, vous avez eu José à l’aller, c’est un bon gars».

Le bus tourne et contourne. Sur les bas côtés, ça tond, ça cause, ça marche, ça se bécote, ça discute, ça décape, ça peint. A Malhourtet, un coup de klaxon, quatre grands-mères autour d’un banc comme paravent saluent le chauffeur. Il répond d‘un signe de la main «ce sont mes clientes». Il ajoute «au final, je connais tout le monde».
On passe devant l’hôpital, deux ambulances en faction, soudainement un calme apparent, troublant. Vision grand écran, vision confinement, sur les trottoirs, les p’tits malins, le chien en laisse qui ont la bougeotte des journées sans fin longues comme des baguettes de pain. Les p’tits coquins, le matin dans le bus ligne 3 direction Leclerc, l’après midi ligne 2 direction Géant Casino. De retour au Mandarous, le chauffeur m’apostrophe «ça faudra le dire aussi». Bilan de sa journée, 12 tournées, 120 kilomètres au compteur et 9 clients. Il ajoute «c’est ça le service public».

 

Millau confinement coronavirus Géant Casino en bus

 

Texte et photographies réalisés à Millau le samedi 28 mars 2020, le 12ème jour du confinement sur les lignes de bus 1 et 2 du réseau MIO ainsi que sur la zone commerciale de Géant Casino Cap du Crès.