Pause café à petites foulées pour garçons de café

Le matin, c’est pas très compliqué pour me trouver. Je bois mon café place du Mandarous, là où le ristreto est brun, crémeux, épais, puissant. Je n’ai pas une place attitrée. Au gré des banquettes laissées libres par les lèves tôt comme moi qui viennent se poser les coudes sur le zinc ou sur l’une des tables pas encore poisseuses. Il y a le boucher, sa blouse blanche n’est pas encore maculée, ça parle de foot. Je n’y comprends rien. Il y a un jeune retraité. Lui, c’est un nouveau, pas d’ici. Je dirais ancien prof intello. Par les petits carreaux, je l’observe. Dehors, il fume sa clope, il rentre, chope Midi Libre. Il sort son BIC, les mots croisés ou fléchés, c’est son petit labyrinthe cérébral matinal. Il y a Nadège, elle parle fort, on ne comprend pas toujours. En si bon…ou mauvais…matin, elle est parfois dans les brumes d’un sommeil ravageur. Elle appelle le serveur « mon chéri ». Le jeune homme habillé d’un petit gilet cintré est sympa avec la dame bien cabossée. Il se prête au jeu, lui fait la bise, penché, le plateau à la main, à farfouiller dans ses poches ventrales à monnaies.

Pas loin du comptoir, Il y a mamie, le serveur l’appelle « mamie ». Elle essuie, elle balaie, elle frotte, elle astique, elle range. Parfois, elle se met au perco. Elle regarde le noir coulé comme de l’or en fusion. De ses doigts fins, elle prend les tasses, un sucre et un biscuit le tout calé sur le côté « alors, c’est comme cela que vous l’aimé ». Puis arrive le patron, c’est le fils de mamie, chemise blanche cintrée impeccable, cheveux mi longs impeccables, barbe grisonnante impeccable. Il vous salue d’une franche poignée de main. Souvent, il s’assoie au fond. En face de lui, un homme à la casquette, baskets rouges au pied. Il parle d’un petit accent sucré. Un fidèle.

J’aime autant mon ristreto que cette ambiance de bruit de tasses vous cassant les tympans en vibrato à peine réveillé….de ces bouts de phrases souvent inaudibles, s’entrechoquant, virevoltant comme portés par une nuée de bourdons…de ces fameuses brèves de comptoir parfois stupides, parfois perfides, parfois limpides de sagesse….de ces allers et venues, de ces chassés croisés, les commandes passées à la volée par des timides, des vaseux, des grincheux, des polis, des amoureux, des fracassés, des fumeurs qui puent déjà le tabac froid, des divorcés qui zieutent Tinder, des vendeuses défrisées au fer à lisser.

Et puis il y a le serveur, le garçon de café. Finalement Barista, c’est pas mal…pour un garçon de salle ! Ya pas à conjuguer. En d’autre temps, une « fille » de café, une barista, une barmaid, se payait les matinales, la terrasse et tout le zinc à briquer. Souvent, elle disait « le café, c’est pour moi ». Elle s’appelait « Manu », je l’ai perdue de vue. Remplacée, oubliée par tant de CDI éphémères, des flippés, des speedés qui flanchent la saison à peine commencée. Sur la porte d’entrée, à l’année, un panneau jaune plastifié et scotché « cherche serveur, CDI ».

Le garçon de café, il fait mine de rien entendre mais finalement, il entend tout. Finalement, il sait tout. Les tourments des amants, la solitude, les turpitudes, les uppercuts, les disputes de chacun, chacune. Souvent, je pense « ça doit le saouler ». Il connait la météo du matin et de la Toussaint. Il connait le nom de tous les chien-chiens qu’on attache au pied de table et des chiens écrasés, les surnoms de tous les vauriens et de tous les blasés mal lunés, les prénoms des papis – mamies qui lisent en premier la rubrique nécrologie. Souvent je pense «ça doit gaver ……. ». Et bien non, il est poli, aimable, courtois. Il fait son petit marathon de la politesse, de l’amabilité, de la courtoisie, l’éponge à la main pour essuyer tables et plateau en esquivant les cancaniers, les « je sais tout »,  les alcolos noyés dans une vie à grand coup de demi, la vie en urgence, en raccourci. Le garçon de café leur dit : « Monsieur, bonjour…je vous sers quoi ? ». Petit éclair de lumière…Souvent je pense « le patron, il a trouvé un chouette serveur, faut qu’il le garde ».

 

Course des Garçons de Café Millau 2019

 

Photographies réalisées le samedi 9 novembre 2019 à Millau (Aveyron) lors de la Course des Garçons (et filles) de Café qui n’avait pas eu lieu depuis 1992.