Jour de marché à Saint Denis

 

Il est 7 heures du matin, un homme, deux femmes sortent du métro. Ce sont des militants anti racistes représentant la Confédération des Immigrés Opprimés d’Europe.
Sur le tract qu’ils diffusent de la main à la main dans les allées du marché de St Denis puis à proximité du cinéma, est recensée la liste des pays européens et les scores des partis nationalistes aux élections pour démontrer la montée en puissance des partis d’extrême droite.

C’est ma première rencontre dans la lumière orange d’une nuit finissante alors qu’une agitation fébrile envahit les halles et ses abords. Déambulation dans une France qui se lève tôt. Marche lente dans une France stigmatisée par l’extrême droite.

La France des camelots gouailleurs, il en reste peu. la France de l’exil qui si tôt, cabas à la main, bat la semelle pour quelques kilos de bananes plantain, de viande boucanée, de lait caillé.Les têtes de moutons sont empilées comme des ballons, la viande est sanguinolente, coeurs, foies, rognons, tripes.Les bouchers sont bien armés. Je rencontre Jean Pierre. En réalité dans le dédale de ces étals, on ne le connait que par son surnom « shérif ». Il porte un chapeau noir orné d’une étoile en plastique argenté. « Je suis le shérif du marché », de si bon matin, l’homme originaire du Bacongo est jovial. Il me prend par la main « toi tu connais le Zaïre ? Mais tu n’as pas trouvé une femme là-bas ? ». Il avoue son âge, 60 ans, il en fait 10 de moins. Il précise « moi je suis flexible. Regardes, je fais le grand écart, là maintenant ». Une femme en boubou le regarde s’écraser au sol avec un sourire hilare, les jambes à 180 degrés « mais dit donc tu as un secret toi ? ».

Sur le pourtour des Halles, c’est la France des petits boulots, de la précarité, de tous les dangers, pour ces sans papiers aux aguets qui sur une cagette vendent ici deux gousses d’ail, là, quelques citrons, plus loin des paquets de clopes en zieutant la police. Certains vendent leurs bras. Les vieux disent « c’est plus comme avant, vous voyez ce que je veux dire ». Un Tunisien gardien d’une impasse où les dealers ont trouvé refuge me dit « l’homme, c’est la marchandise la moins chère sur terre ».

 

Photographies réalisées le 18 janvier 2019 à Saint Denis (93 – France)