Slab City, rencontre avec BJ

SUR LA ROUTE DE SLAB CITY

« Maintenant, je suis un adulte » – rencontre avec B.J.

De loin, j’ai vu un gars arcbouté sur un petit vélo, une main sur le guidon, l’autre à tenir tant bien que mal une longue planche, le cul traînant dans la poussière. J’ai stoppé ma bagnole, je me suis dirigé vers lui « tu veux de l’aide ? ». On s’est serrés la main et j’ai enfourché ce bois de récup. par l’arrière. Plusieurs fois, il s’est retourné « t’es sûr que ça va, t’es sûr que ça va ? ». Arrivé à son van, on a posé cette carcasse de bois. Il m’a dit « attends cinq secondes ». J’ai attendu, il est revenu, il m’a tendu une petite pierre nervurée « c’est une améthyste ». Et c’est là qu’on s’est vraiment salué « moi, c’est Basile Calvert Junior, mais ici on m’appelle BJ. « Heu ! BJ, ça veut dire ? « BJ, ça veut dire Black Jesus ».
 
A la Thanksgiving, toute famille américaine unie et heureuse, tout au moins en apparence, se doit de faire cuire la dinde. Ce jour-là, BJ, lui, prend la route pour Slab City « C’est une copine qui m’a dit « tu viens avec moi ? » « Oui mais quand ? » « Et ben, là tout de suite ! ». BJ a mis trois bricoles dans un sac à dos et c’était parti.
 
On ne se met pas ainsi le cul dans une caisse pourrie pour rejoindre Slab City sans être soi même dans une turbulence qui vous consume à petit feu. Une lente descente aux enfers après avoir mené une vie de bon père de famille, deux kids à nourrir et à éduquer, un boulot de chauffeur routier « j’étais cross country driver chez CR England. Je conduisais un 16 roues ».
 
Il ne dit sans doute pas toute la vérité. Toute au moins, l’a-t-il patinée pour qu’elle trouve un peu de décence lorsqu’il s’agit de se confier. Une mère qui se drogue, un père qui se fait descendre, dans South Central, ça dégage vite. Il est donc élevé par la grand-mère qui décède d’une attaque cardiaque « j’ai fait un choix. Elle m’avait élevé, alors c’est moi qui me suis occupé d’elle jusqu’à sa mort ». Il ne dit pas le reste, sans doute l’essentiel, ce paquet d’emmerdes que l’on devine bien plus graves, planquées dans sa conscience pour expliquer la perte de son emploi, de son appartement et pour finir le divorce au point de se retrouver à faire les poubelles et à traîner la semelle dans les rues de Colorado Springs, son dernier point d’ancrage avant d’errer ici dans Slab City.
 
En jetant son sac dans le sable de Slab, il dit à sa copine « Putain, mais c’est le désert ici ». Il avoue « j’étais certain d’avoir fait une grosse connerie ». Mais au petit matin après une bonne défonce à traîner dans les «party» qui agitent les noctambules, il se réveille la gueule de travers mais le ciel est d’un tel rouge flamboyant qu’il se dit « putain c’était trop beau, j’avais jamais vu ça et je suis resté ».
 
Le van de BJ est d’une propreté exemplaire. Ses chaussures sont rangées au cordeau, le lit est fait, la vaisselle aussi. Même à l’extérieur, rien ne traîne. Il a décoré l’entrée avec des cadres de BMX, une passion de gamin, il bossa même un temps à Venice Beach chez un loueur de vélo. Quant à la grande planche que nous avons traînée, elle doit servir à construire une terrasse. Je n’ai pas envie de gratter le sens et la portée des mots lorsqu’il dit « c’est une expérience de vie, un voyage. Ici, il n’y a aucune garantie, si tu tombes, tu tombes. Chaque jour que je me lève, je suis heureux car je me dis que je suis en vie». Il le dit avec beaucoup de douceur, on reste le dos collé à la banquette, on jette un silence et on prend ça en pleine gueule. Il vit de l’entraide, de bons alimentaires. Lorsqu’il veut se mettre les idées au clair, il se glisse chez JoJo et bourre sa pipe.
 
Depuis peu, il a renoué contact avec sa fille aînée, déjà 14 ans, il fut un jeune papa. Il confie en essuyant de longues larmes glissant sur ses joues « avant je n’étais qu’un gamin, maintenant, je suis un adulte ».

Pour lire l’ensemble des portraits réalisés à Slab City, cliquez sur ce lien : http://gillesbertrand-photography.com/category/blabla/